Il me tarde de voyager au sens de laisser errer mon regard au milieu de paysages inédits, au moment où, assignée aux lieux communs, l’inconnu a cessé de m’inviter à aller vers lui. Ma solitude regrette de ne plus avoir pour seul compagnon le goût de l’aventure.. mon âme claustrophobe s'en trouve exacerbée et El Desdichado seul capable de la consoler.
Au faîte de son littoral Pausilippe, ses mots voguent sous mes yeux, sa plume effleurant la lyre m’entraîne.. je dévale les niveaux de lecture jusqu’à la chute : sa fin inachevée flatte mon inspiration, fait déborder mon imagination là où mon regard ne s’est jamais encore posé. Jusqu’alors captive, mon âme se laisse captiver par la volupté.
"Cette [échappée] est vraie parce que je l'ai entièrement inventée.."
El Desdichado
Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Étoile est morte, – et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.
Suis-je Amour ou Phébus ?… Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J’ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène…
Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.
El Desdichado, sonnet liminaire du recueil Les Chimères (1854), composé dans un état proche du délire onirique et dont Nerval assume l’hermétisme : « il perdrait de son charme à être expliqué ». Ses connotations ésotériques n’ont pas fini d’intriguer les critiques..